Il y a des décisions politiques qui provoquent le fracas d’un coup de tonnerre. Et d’autres, plus silencieuses, qui s’installent comme un brouillard, semant l’incertitude. L’annonce, début juin 2025, de la suspension temporaire de MaPrimeRénov’ appartient à la seconde catégorie.
Au-delà de l’annonce formelle, de la réaction des fédérations du bâtiment ou des justifications ministérielles, c’est une trajectoire plus vaste qui se dessine : celle d’une transition progressive des aides publiques vers des aides privées. Ce n’est plus tant le budget public que la facture d’énergie du consommateur qui risque, à terme, de porter le poids de la rénovation thermique des logements français.
En croisant les textes législatifs, les arrêtés récents et les tribunes d’experts, nous proposons ici une lecture synthétique et exigeante de ce que cette suspension révèle vraiment.
Rapide retour chronologique
Le 4 juin 2025, Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts, confirme devant le Sénat la suspension temporaire du guichet MaPrimeRénov’. Les motifs avancés sont connus : surcharge de dossiers, délais critiques, et montée des fraudes. Le budget de 3,6 milliards d’euros serait largement consommé. Dans la foulée, le 5 et 6 juin, Valérie Létard rassure les professionnels : les dossiers en cours seront honorés, seuls les nouveaux dépôts individuels sont concernés. L’ANAH diffuse une FAQ précisant que les copropriétés ne sont pas impactées. Le redémarrage est annoncé pour fin septembre. Toute cette chronologie est synthétisée dans notre article : “Suspension de MaPrimeRenov’, on fait le point sur la situation”
Les Certificats d’Économies d’Énergie : un levier de financement qui va devenir incontournable
Origines et évolutions du dispositif CEE
Créé en 2005, le dispositif des CEE vise à obliger les fournisseurs d’énergie à inciter leurs clients à réaliser des économies d’énergie, par des travaux ou comportements économes. Initialement centré sur des actions ponctuelles, ce mécanisme s’est complexifié et élargi pour devenir un outil central de la politique énergétique nationale.
Une montée en puissance progressive : les CEE pèsent désormais sur 30 % à 60 % du financement des rénovations
La part des CEE dans le financement total des travaux de rénovation thermique est passée d’un rôle complémentaire à un rôle majeur, avec un objectif ambitieux d’atteindre 60 % pour les rénovations globales. Ce changement implique une dépendance accrue des acteurs du secteur à ce dispositif pour la viabilité financière des projets.
🔴 L’Arrêté du 13 juin 2025 : une accélération réglementaire et une bonification renforcée
Cet arrêté, modifiant celui du 29 décembre 2014, marque un tournant déterminant :
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Multiplication par 4 du volume de CEE attribués aux rénovations éligibles à MaPrimeRénov’, ce qui signifie que les travaux de rénovation bénéficient désormais d’un soutien CEE beaucoup plus important, renforçant leur attractivité pour les fournisseurs d’énergie.
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Bonification doublée pour les ménages modestes non éligibles à MaPrimeRénov’ : cette mesure vise à élargir le champ d’application des aides indirectes, notamment pour les logements sociaux et les résidences secondaires, secteurs souvent marginalisés.
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Harmonisation et sécurisation des critères d’éligibilité : en clarifiant et en renforçant les conditions pour bénéficier des CEE, l’arrêté cherche aussi à limiter les risques de fraude, tout en améliorant la lisibilité du dispositif.
Cet arrêté est une pièce maîtresse qui concrétise le relais pris par les CEE au soutien de la rénovation énergétique, avec une régression, voire un effacement à terme des aides publiques.
Impact concret sur le financement de la rénovation énergétique
De l’impôt à la facture d’énergie : effets indirects sur les prix
Avec l’augmentation des CEE, le financement de la rénovation devient moins transparent. Ce ne sont plus les contribuables qui financent directement, mais les consommateurs via leur facture d’électricité, de gaz ou de carburants. Cela peut paradoxalement pénaliser les ménages les plus fragiles, malgré les bonifications ciblées
Cette forme de financement, moins visible, tend à responsabiliser davantage les fournisseurs d’énergie, mais soulève aussi des questions d’équité sociale.
Un modèle plus flexible mais potentiellement fragile
La montée en puissance des CEE offre une flexibilité certaine : les pouvoirs publics peuvent ajuster les obligations selon la stratégie énergétique et les contraintes économiques. Cependant, cette souplesse s’accompagne d’une incertitude importante : chaque période d’obligation (prochainement la 6e période 2026-2030) peut voir son niveau modifié, ce qui impacte directement les professionnels et les ménages.
Plus globalement, la suspension de MaPrimeRenov’ suivie de la publication de l’Arrêté du 13 juin 2025 donne un signal clair sur les ambitions des pouvoirs publics : un glissement marqué des aides publiques vers les aides privées.
La 6e période des CEE (2026-2030) : un enjeu politique majeur
Deux options s’affrontent : relance forte ou prudence budgétaire
Le cœur du débat actuel est l’arbitrage sur le niveau d’obligation CEE fixé pour la période 2026-2030. Une obligation trop faible freinera l’ambition de rénovation et retardera la sortie de la précarité énergétique. Une obligation élevée augmentera la pression sur les factures, mais permettra une accélération indispensable de la transition.
Une décision stratégique qui dépasse la simple réouverture de MaPrimeRénov’
La suspension temporaire de MaPrimeRénov’ ne doit pas masquer le fait que la clé réside dans ce choix politique sur les CEE. La date de réouverture du guichet est secondaire face à l’enjeu fondamental de définition du volume des obligations à venir.
La lutte contre la fraude et la sécurisation des aides : un impératif renforcé
La proposition de loi n° 447 : un cadre plus strict pour restaurer la confiance
Face aux dérives constatées, la proposition de loi prévoit :
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Une suspension rapide des aides en cas de suspicion de fraude,
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Une obligation de transparence accrue sur les sous-traitants,
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La possibilité pour la DGCCRF de suspendre le label RGE en cas de manquements.
La digitalisation et l’automatisation comme réponses technologiques
Pour répondre à ces exigences, l’adoption d’outils numériques est indispensable. L’automatisation des contrôles, l’analyse sémantique des documents et la traçabilité digitale sont les clés pour fiabiliser les dossiers et sécuriser les financements. Ecodomio, en développant ces technologies, accompagne les professionnels vers cette nouvelle norme.
La suspension de MaPrimeRénov’ ne signifie pas un recul dans la lutte contre la précarité énergétique, mais illustre une profonde transformation du modèle de financement de la rénovation. L’Arrêté du 13 juin 2025 en est l’illustration réglementaire, accélérant la montée en puissance des CEE et renforçant leur rôle central au détriment de MaPrimeRenov’
Ce modèle, moins direct mais plus intégré dans le système énergétique, redistribue les responsabilités entre l’État, les fournisseurs d’énergie et les consommateurs, dans un équilibre fragile entre efficacité, justice sociale et soutenabilité financière.